Le journal 24heures, sachant que je travaille sur un ouvrage traitant des beautés et des violences dans l’islam, l’Occident et le christianisme, m’a offert la possibilité d’écrire un très court texte dans leurs colonnes. J’ai choisi d’y aborder un thème ultra sensible, à savoir la question des migrants, question qui a divisé et qui continue de diviser l’opinion publique. Plus encore, j’ai voulu poser la question de l’origine religieuse des migrants et des effets à long terme d’une présence accrue de musulmans en Occident.
Cet article a paru la veille des terribles attentats à Paris, attentats qui ont bouleversé le monde.
Or un tel choc pousse aux réactions émotives, réactions peu propices au débat de fond auquel j’appelle.
Dans un premier temps, et cela est parfaitement légitime, la priorité doit être donnée aux familles des victimes. Leur écoute et leur soutien sont prioritaires. Une mise en oeuvre d’une plus grande politique de sécurité et des discours rassembleurs sont nécessaires. Mais quand le calme revient, une réflexion plus fondamentale sur le long terme reste fondamentale.
Cet article paru dans 24 Heures m’a valu de recevoir de très nombreux signes de soutien. Enfin, m’a-ton dit, quelqu’un qui ose nommer les choses, avec nuances, mais avec clarté. Il m’a valu aussi diverses critiques. En temps voulu, j’y répondrai. Pour le moment, je tiens à mettre à disposition des personnes qui ne lisent pas 24heures le contenu de mon texte. L’idée centrale est que l’accueil des migrants est à la fois un devoir, un danger et un défi.
Une mise en garde importante s’y trouve: Là où l’islam normatif progresse, les libertés fondamentales régressent, les chrétiens sont assujettis, les juifs méprisés, les athées bannis.
Comme je l’ai écrit dans mon article, j’entends par l’islam normatif les textes fondateurs du Coran, des propos de Mahomet (les hadîths, en particulier ceux de Boukhârî et de Muslim) et sa biographie (celle par exemple d’Ibn Hichâm), textes qui ne peuvent être altérés par les communautés musulmanes. Le normatif est inséparable du discursif (les différentes interprétations) et de l’effectif (les mises en oeuvre pratiques). Et dans l’islam contemporain, il y a au moins six couleurs différentes qui reflètent ces textes normatifs; l’islam libéral, l’islam des mystiques, l’islam culturel et traditionnel, l’islam étatique, l’islam radical par évolution et infiltration, l’islam radical par la révolution et par la terreur. Et chacune de ces couleurs trouve des justifications dans les textes fondateurs.
Voici une parole synthétique de Mahomet qui donne à penser:
« D’après Abû Hurayra, le Messager de Dieu (  ) a dit: « J’ai été avantagé sur les autres Prophètes par six choses: – M’ont été données les paroles synthétiques. – M’a été donnée la victoire par l’effroi. – Les butins de guerre m’ont été rendus licites. – On a fait pour moi de la terre un élément pur et purifiant et une mosquée. – J’ai été envoyé à l’ensemble des créatures. – Et par moi a été scellée la succession des Prophètes. » (rapporté par Muslim) » (Bulletin du Centre islamique de Genève, no 57, mars 2014, p. 3). http://www.cige.org/DocPDF/Bulletin_57.pdf).
Il y a quelque chose d’unique dans la vie de Mahomet: un enseignement spirituel et éthique s’articule à l’utilisation, dans différentes circonstances, de la terreur (des centaines d’ennemis égorgés, de nombreux adversaires torturés) et de l’appropriation de butins de guerre.
Je tiens à redire ici que je ne prétends nullement critiquer l’islam à partir d’une position de supériorité personnelle. Jésus nous a appris à être très vigilants dans nos jugements (cf. mon article La paille et la poutre dans les violences interreligieuses Maroc, 20 septembre 2014)Dans la crise actuelle, l’Occident a une responsabilité énorme qu’il est vital de décoder. Les intérêts géopolitiques, militaires, pétroliers, sécuritaires des grandes puissances en conflit polluent la situation au Moyen-Orient et d’autres régions du monde. Et, dans l’histoire, les Eglises chrétiennes ont été complices de terribles atrocités.
Poser, à la suite de l’Evangile, mais aussi de musulmans progressistes et mystiques, des questions critiques à l’égard de certaines formes de l’islam contemporain qui aujourd’hui mettent en pratique littéralement les textes normatifs de l’islam des origines, cela est parfaitement compatible avec un appel clair à aimer les musulmans, à estimer leurs trésors de spiritualité (je pense par exemples aux textes magnifiques de Rûmi) et à refuser tout discours de haine à leur égard.
Voici d’ailleurs un appel clair d’un musulman progressiste, Mohamed Charfi, qui dans son livre islam et liberté. Le malentendu historique (Paris, Albin Michel, 1998) a résumé l’essentiel des problèmes :
« (…) nulle part ailleurs que dans le monde musulman, le fanatisme religieux n’a fait, ces dernières années, autant de victimes (p. 7). (…) la charia brille par son antiféminisme, son droit pénal inhumain et les atteintes que ses règles portent à la liberté de conscience (p. 67). (…) Dieu n’est pas fanatique, mais les uléma d’hier, comme les uléma et les intégristes d’aujourd’hui le sont. (…) Les juifs et les chrétiens ont abandonné cette règle honteuse [liberté à sens unique: liberté d’entrer dans leur religion, interdiction d’en sortir]. L’islam ne l’a pas abandonnée, à cause des théologiens et des intégristes (p. 79) ».
Seule une mise à distance des textes normatifs de l’islam (par contextualisation, par spiritualisation ou par abandon) justifiant l’impossibilité de pouvoir quitter librement l’islam sans être menacé, l’inégalité juridique entre l’homme et la femme, la haine à l’égard des juifs, l’assujettissement des chrétiens et la mise à mort des idolâtres, seule une telle mise à distance permettra de rendre possible un véritable vivre ensemble.
Finalement, j’invite tous ceux qui veulent réfléchir sérieusement à ces questions délicates de prendre le temps de lire le Coran dans son ordre chronologique (cf. la traduction de Sami Aldeeb), d’enfin lire les hadîths de Boukhârî (notamment les deux cent pages consacrées à ce que Mahomet a dit sur la guerre et au comportement militaire, Sahih Al-Boukhârî, arabe-français, 2012, tome 2, 745-951) et une biographie dans ses sources (par ex. Ibn Hichâm, La biographie du prophète Mahomet, Fayard 2004.). Un politicien, un journaliste, un « spécialiste des religions » ou un responsable d’Eglise qui prétend donner un avis sur l’islam sans connaître ces textes est un ignorant ou un aveugle.
La répétition en boucle que l »l’Islam est une religion de paix » est devenue inaudible. Il appartient aux responsables musulmans d’expliquer comment cette paix peut être compatible avec tous ces textes d’appel à la guerre (non seulement spirituelle mais militaire, non seulement défensive mais offensive).
Seul un travail sur nos violences, toutes nos violences -musulmanes, chrétiennes, occidentales…- (cf. mon article Les religions, causes de violences ou facteurs de paix et leur mise à l’écart pourront assurer les fondations d’un vivre ensemble qui soit vraiment paisible pour tous.
Là est ma prière pour nous tous et, avec bien des chrétiens, des musulmans et des personnes d’autres convictions, là est notre notre recherche.
Comment comparer des mouvements de pensée entre eux, et par conséquent les comportements qui en résultent, notamment lorsqu’il s’agit de « religion » ?
La sagesse et l’expérience montrent que trois points sont primordiaux :
1. bien étudier, analyser le comportement du « fondateur » du mouvement, de la personne à l’origine du courant de pensée à analyser
2. passer au crible les textes fondateurs, écrits par cette personne ou parlant de cette personne, et les situer dans leur contexte
3. éviter le piège consistant à analyser un mouvement ou une pensée à travers le comportement de ceux qui se réclament faussement de lui
Prenons l’exemple de Jésus :
– son comportement était exemplaire
– les textes fondateurs ont pris le soin de se distancier des textes antérieurs agressifs (« vous avez appris qu’il a été dit… mais moi je vous dis… ») et mettent l’amour au premier plan
– ceux qui ont commis des crimes (croisades, inquisitions) au nom de Jésus ou de la Bible l’on fait en contradiction flagrante avec l’esprit des évangiles
Le premier point est incontournable car le comportement du « fondateur » sera pris comme exemple par ceux qui le suivront, consciemment ou non.
Ceux qui se réclament d’une pensée se justifieront presque toujours en citant les textes fondateurs : c’est pourquoi le deuxième point est crucial. Non seulement Jésus a mis le doigt sur certains passages des textes de l’époque pour les parfaire, mais Paul nous explique que ces textes sont allégoriques, pour notre enseignement, et les pères de l’Église (tel Origène) nous montrent à quelle interprétation nous attacher (p.ex. le livre de Josué nous décrit les combats spirituels qui se déroulent dans notre monde intérieur).
Pour démolir une pensée, un mouvement, la solution de facilité consiste très souvent à prendre dans l’Histoire les comportements de ceux qui s’en réclament – il devient alors primordial de se poser la question par rapport aux deux premiers points : ce comportement serait-il approuvé par le « fondateur » ? est-il conforme aux textes fondateurs ?
On pourrait imaginer la conversation suivante :
– Le chrétien : « Jésus est amour, il guérit des gens – il est même mort pour nous – alors que certains autres (guides, prophètes, gourous, maîtres à penser, leaders, etc.) sont plutôt violents (guerriers, etc.) »
– Le non-chrétien : « vous oubliez les croisades, l’inquisition, etc. »
– Le chrétien : « ceux qui faisaient cela désobéissaient au Christ, alors que ceux des mouvements qui sont va-t-en-guerre le font – souvent – par obéissance (au guide, prophète, gourou, maître à penser, leader, etc.) »
– Le non-chrétien : « vous oubliez les textes de l’Ancien Testament, comme oeil-pour-oeil et dent-pour-dent »
– Le chrétien : « Jésus a dit : « Moïse vous a dit…, mais moi je vous dis… » : il est donc évident que pour lui le Nouveau Testament prime sur l’Ancien Testament »
Comme on le constate dans ce dialogue, il est primordial d’avoir en sa possession les outils d’analyse et de comparaison cités plus haut. Car comment comparer des « mouvements de pensée » (pour simplifier) entre eux ? Tout simplement analyser le comportement du « fondateur » du mouvement, passer au crible les textes fondateurs, analyser si le comportement de ceux qui se réclament de lui y est conforme, afin d’éviter les amalgames.
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L’enseignement de Jésus est subîme même si apparemment il y a des pensées contradictoires à celle de l’homme.
En parcourant votre biographie, j’ai aussi su votre engagement au niveau des groupes bibliques dont j’étais membre, que ce soit dans mon pays d’origine, ou ici au Canada.
Je suis intéressé à avoir plus de contact avec vous si c’est possible
Fraternellement en notre Seigneur Jésus Christ
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