Texte paru dans Corriere della Serra, le 25.12.2002.
Vive Noël !?
« Vive Noël !!! La fête des fêtes est là. Dans la grisaille de l’hiver et la brutalité des (mauvaises) nouvelles, un espace bienfaisant de lumière et de paix s’ouvre à tous. »
« Vive Noël !! Deux milliards de chrétiens à travers le monde (un habitant sur trois de la planète), se sont préparés à vivre la plus joyeuse de leurs fêtes. »
« Vive Noël ! J’ai fini mes courses, exténué. Mon frigidaire est plein, mon sapin est joliment décoré, et mes cadeaux ont été emballés avec soin. »
« Vive Noël… Les enfants sont surexcités et ne cessent de se disputer. L’oncle G. sera malheureusement avec nous. Qu’est-ce qu’il va encore nous sortir cette année comme âneries ? Cela fait trois ans déjà que C. nous a quittés. Elle me manque terriblement. Je me sens seul. »
« Vive Noël ? Un requérant d’asile africain mendie devant un grand magasin. Ils commencent par nous agacer ces réfugiés. Mais pourquoi, bon Dieu, ne restent-ils pas chez eux ? »
« Vive Noël ?? Mon voisin, qui est enseignant dans l’école du quartier, m’a dit que plusieurs parents musulmans ont demandé à ce que leurs enfants ne soient pas obligés d’apprendre par cœur les poésies de Noël. Ils se croient tout permis ! Qu’ils appliquent leurs lois religieuses dans leurs pays, c’est une chose, mais qu’ont-ils à venir perturber nos contrées à nous ? »
« Vive Noël ??? George W. Bush sort d’une grande église, filmé par les caméras du monde entier. Il vient de chanter le cantique céleste des anges entendu par les bergers lors de la naissance de Jésus : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur la terre aux hommes ses bien-aimés ! » (Evangile de Luc 2,14). En Irak, 650 000 chrétiens, avec leurs 22 millions de voisins musulmans, demandent avec angoisse à Dieu qu’il n’y ait aucun bruit dans le ciel et que leur terre ne soit pas ravagée par la guerre… »
Ces réflexions intérieures et ces dialogues fictifs nous rappellent qu’il y a aujourd’hui mille manières de vivre Noël. Des plus heureuses aux plus dramatiques. A la complexité des situations familiales et politiques se rajoute celle de la diversité des religions. Et ce qui est nouveau, c’est que cette diversité multicolore et éclatée se trouve au coeur de nos cités et de nos villages tout près de nous.
Noël vu par les musulmans
Depuis peu de temps, en Europe, vivent plus de 10 millions de musulmans. (N’oublions pas que, depuis bien des siècles, dans le monde arabe vivent plus de 12 millions de chrétiens !). Comment fêtent-ils Noël ? Selon l’islam majoritaire, Jésus est un prophète, un grand prophète et les anniversaires des prophètes ne se fêtent pas… en principe ! (Le Mouloud, fête qui célèbre la naissance de Mohammed, ne fut officialisée qu’en 1292 de l’ère chrétienne. Dans certains pays, cette fête est célébrée avec ferveur, mais dans d’autres, elle est fortement récusée par les plus traditionalistes, notamment par les wahabites saoudiens). Jésus, selon les musulmans n’est pas le Fils de Dieu. « Le Messie Jésus, fils de Marie est seulement un Prophète de Dieu, sa Parole qu’il a jetée en Marie, un Esprit émanant de lui » (Coran, Sourate 4,171). Ce qui n’est pas rien ! Jésus est né miraculeusement de la Vierge Marie, mais il n’est pas la Parole de Dieu faite chair, le Fils révélant le Père (voir Evangile de Jean 1, 14-18). D’où le refus – compréhensible – de parents musulmans à ce que leurs enfants récitent des poèmes contraires à leur foi.
Noël vu par les juifs
Pendant presque vingt siècles, les juifs ont subi de terribles violences de la part des chrétiens. Durant cette longue période, Jésus a été perçu comme la source de leurs malheurs, comme un faux prophète qui avait mal interprété la Torah, la Loi juive révélée à Moïse. Ainsi, les juifs ne fêtent pas Noël (même si, comme pour certains musulmans, des cadeaux peuvent parfois être offerts aux enfants pour « faire comme les autres »). Depuis une cinquantaine d’années, de plus en plus d’intellectuels juifs se sont mis à lire les Evangiles et à reconnaître Jésus comme l’un des leurs. Pour les plus ouverts, « Jésus est notre Maître, mais pas notre Dieu ». Plusieurs rabbins acceptent que Jésus soit appelé « Fils de Dieu », comme le peuple d’Israël est reconnu Fils de Dieu (Exode 2,22). Mais il n’est pas Dieu le Fils ! Jésus est une créature humaine, mais pas le Créateur prenant visage humain.
Noël vu par les bouddhistes
Les bouddhistes, contrairement aux chrétiens, aux juifs et aux musulmans, ne croient pas en un Dieu créateur et différent du monde. Sans être athées, ils sont non théistes. La Réalité ultime est indéfinissable et impersonnelle. Pour eux, Jésus n’est donc ni Dieu le Fils, ni Fils de Dieu ! Pour ceux qui ont approfondi son enseignement, Jésus est un grand bodhisattva, un être d’éveil qui transmet aux humains la compassion et la sagesse. Noël peut être l’occasion de se souvenir de ce maître exceptionnel.
Noël vu par les hindous
Les hindous, contrairement aux bouddhistes, croient que le Divin est, et qu’il se manifeste dans le monde des humains. Pour eux, Jésus peut tout à fait être perçu comme un avatar, une descente, une incarnation du divin parmi les humains. Pour de nombreux hindous, Jésus est un extraordinaire yogi (un sage unifié), un exceptionnel gourou (un maître dont les paroles ont du poids) un bhakta accompli (une personne ayant réalisé la voie de l’amour et de la dévotion). A la différence des chrétiens, les hindous ne reconnaissent pas l’unicité de Jésus, et récusent – à juste titre !- la violence exclusive d’un certain nombre d’Eglises chrétiennes. Pour les hindous familiarisés avec la vie et le message de Jésus, Noël est une fête célébrant une manifestation du Divin. Mais une manifestation parmi beaucoup d’autres.
Noël vu par les autres
Tant d’autres courants humanistes, spirituels et religieux perçoivent Noël, chacun à sa manière. Le temps est fini où une seule tradition pouvait imposer à tous sa vision de Jésus. Et dans un même lieu, il nous faut apprendre à vivre ensemble, la majorité respectant les minorités, et les minorités respectant la majorité.
« Vive Noël !!! Puisse le président Bush se souvenir de la naissance dans la précarité du Christ dont il se réclame, et ne pas ressembler au roi Hérode qui, par amour du pouvoir, a fait massacrer tant d’enfants innocents. Puissent les Irakiens vivre un Noël et une année 2003 paisibles.
Vive Noël !! Puissent nos voisins musulmans, juifs, bouddhistes, hindous ou autres, se sentir respectés et puissent-ils respecter ceux qui expriment leur foi différemment d’eux.
Vive Noël ! Puissent les requérants d’asile sentir dans les yeux des personnes célébrant cette fête un peu de chaleur humaine et de compréhension. Car le Christ célébré a aussi dû se réfugier dans un pays étranger pour fuir l’oppression.
Vive Noël… Puisse la fête avec la famille et les voisins, malgré les inévitables tensions, être belle. Puisse chacun se souvenir que cette fête est peut-être la dernière, et que durant l’année qui vient, la maladie ou un accident emportera, hélas, un proche qui, alors, se révèlera encore plus cher.
Vive Noël !!! Puissent ceux et celles qui vont se nourrir du sens profond de Noël se souvenir que le Vivant s’est fait mortel, afin que les mortels deviennent vivants !
Je vous souhaite le plus vivifiant des Noëls !!!
Shafique Keshavjee
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